Valentin Aubertin VALENTIN AUBERTIN
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Platon dans nos téléphones

08-09-2025

Dans La République, Platon décrit une caverne où des prisonniers, enchaînés depuis leur naissance, regardent un mur sur lequel dansent des ombres. Ils prennent ces ombres pour la réalité, car ils n'ont jamais vu autre chose. Ce mythe philosophique, vieux de plus de deux mille ans, trouve un écho troublant dans notre époque : celle des écrans omniprésents, des salles obscures aux téléphones dans nos poches.

Le parallèle est immédiat. Le spectateur de cinéma assis dans l’obscurité, ou toi dans ton canapé, les yeux rivés à un écran lumineux, ressemble fort au prisonnier de la caverne. L’écran est devenu ce mur moderne sur lequel se projettent des formes : des images, des vidéos, des récits, des textes. Les acteurs, les décors, les montages, les couleurs, les filtres : autant d’ombres fabriquées, de simulacres maîtrisés.

Le cinéma — et plus largement l’image — serait alors l'art de l'illusion par excellence, un outil puissant pour séduire, distraire, détourner. Platon se méfiait déjà de la mimesis, cette imitation du réel qu’il considérait comme une copie de copie, une illusion dangereuse qui éloigne l’âme de la vérité. Ce reproche, on pourrait aujourd’hui l’adresser à bien des formats : les blockbusters, les stories, les reels, TikTok.

Mais ce serait une erreur de réduire le cinéma — ou même les images — à une simple caverne moderne. Car si l’écran peut enfermer, il peut aussi ouvrir. Tout dépend de ce qu’il projette… et de la manière dont on le regarde.

Certains films ne se contentent pas d’illustrer Platon : ils nous forcent, nous aussi, spectateurs, à questionner notre confort, nos certitudes, nos illusions sociales. The Matrix, The Truman Show, Inception — ces œuvres rejouent l’allégorie de la caverne, mais en y ajoutant un vertige contemporain : et si ce monde, cette société, cette routine, n’étaient qu’un décor ?

Le paradoxe est là : le cinéma est à la fois ombre et lumière. Il fascine, mais peut éclairer. Il nous hypnotise, mais peut aussi nous libérer. La différence tient à notre regard. Comme le prisonnier qui remonte vers la lumière, le spectateur peut, lui aussi, choisir de ne pas s’arrêter à l’écran, mais de chercher, derrière les images, ce qu’elles disent du monde.

Finalement, le cinéma, ce n’est pas la caverne elle-même. C’est l’invitation à en sortir — à condition de le vouloir soi-même.

Mais il ne s’agit pas seulement de ce que l’on regarde. Il s’agit aussi de ce que l’on crée. Car dans cette nouvelle caverne numérique, chacun peut devenir faiseur d’ombres. Filmer une vidéo, écrire un post, publier un reel, coder une appli : créer du contenu, aujourd’hui, c’est avoir une part de pouvoir sur l’attention des autres. Et donc une responsabilité.

Créer, ce n’est plus seulement s’exprimer. C’est exposer, diffuser, faire consommer. Alors, à quoi sert ce que tu fais ? Est-ce que ça aide à voir le monde autrement ? Est-ce que ça éclaire, même un peu ? Ou bien est-ce que ça remplit, distrait, fait scroller sans fin ?

Chaque contenu diffusé est une forme d’appel. Il peut nourrir ou abrutir. Il peut réveiller ou endormir. Et dans un monde saturé d’images, choisir ce que l’on donne à voir devient un acte éthique. Si ta création sert le bien commun, si elle aide ne serait-ce qu’un humain à sortir un peu de sa caverne, alors elle a du sens. Sinon, elle risque de ne devenir qu’une ombre de plus — de trop.

Et c’est là que notre époque diverge de l’allégorie de Platon.
Dans la caverne, les prisonniers étaient forcés de regarder les ombres.
Aujourd’hui, personne ne nous y oblige. C’est nous-mêmes qui choisissons nos chaînes. On ne nous attache pas devant l’écran : on y reste de notre plein gré. Et ce que l’on choisit de regarder, chaque jour, nous transforme. Chaque image, chaque vidéo, chaque scroll nous façonne — directement ou subtilement.


Alors, la vraie question est là : quelles images choisis-tu de consommer ? Et qu’est-ce que tu fais consommer aux autres ?


T.L.D.R
Aujourd’hui, chacun choisit les ombres qu’il regarde — et parfois, celles qu’il projette. Ce que tu consommes te façonne. Ce que tu crées façonne les autres. À toi de décider si tu veux sortir de la caverne… ou y attirer du monde.